Bienvenue à chacune et chacun dans ce dispositif de formation qui s’adresse aux praticiens exerçant en libéral et/ou en institutions et qui souhaitent orienter leurs pratiques par les enseignements de Jacques Lacan et de Jacques-Alain Miller. Ce dispositif permet aussi aux patients et aux praticiens de l’hôpital qui nous accueille de bénéficier de ces enseignements.
Pour cette année 2020-21, intitulée « Retour vers les trésors oubliés de la psychiatrie », nous mettrons au cœur de nos enseignements la visée suivante :
Préserver la fonction de la parole
C’est un enjeu essentiel dans notre époque qui réduit la subjectivité au cerveau. Nous le constatons chaque jour, le cerveau est mis en avant, il est réputé être l’organe qui donne un sens à l’existence, organe responsable de nos comportements et de nos interactions sociales.
Mais l’invention de la psychanalyse par Freud s’est faite sur un point majeur : le sujet n’est pas maître dans sa demeure. Les connexions neuronales d’un cerveau humain ne permettent pas de rendre compte des actes d’un sujet. C’est ce qui fut au cœur du colloque Pipol en juillet 2019 : L’inconscient et le cerveau Rien en commun.
En écrivant cette introduction, je me suis souvenue d’un meeting que nous avions organisé en 2008 à Angers et dont le titre était : « Formatés, standardisés, évalués, Sommes-nous des numéros ? » C’était l’époque d’une grande mobilisation dans le Champ freudien contre la marchandisation des êtres humains. Aujourd’hui, il nous faut encore résister contre les coups de boutoir visant à « thérapier » les sujets dans une perspective normative. Car la psychanalyse s’intéresse non pas aux individus sur le mode d’un « pour tous », elle s’intéresse aux drôles de numéros que nous sommes, chacun au un par un, dans la singularité de nos symptômes et de nos modes de jouir. C’est là le sel de la psychanalyse et dans notre « espèce fabulatrice » pour le dire avec Nancy Huston, toutes les fables ne se valent pas et la fiction des « thérapieurs » de toutes sortes n’est pas la nôtre, la déshumanisation qui en résulte est plutôt notre cauchemar.
Alors, on peut se demander s’il est encore possible de dire la folie dans les institutions psychiatriques.
Psychanalyse et psychiatrie forment un couple qui se défait depuis les années 60 où la psychanalyse faisait intrinsèquement partie de la formation du jeune psychiatre, défaisance en lien avec le développement de nouveaux savoirs concernant la « santé mentale », tout particulièrement les neuro-sciences et la psychologie cognitivo-comportementale, savoirs dont le sujet est forclos et qui font du symptôme un trouble du comportement à rééduquer.
Dans notre orientation lacanienne, « …les notions de « sujet », d’ « inconscient », d’ « angoisse » et de « pulsion » (…) restent des boussoles et permettent de faire une place à la folie, de ne pas rejeter le fou aux marges de l’humanité, … » (Clotilde Leguil dans La psychiatrie affolée p21), de ne pas le considérer comme un « bizarre coléoptère ». (Lacan, Petit discours aux psychiatres).
Il nous apparaît tout à fait essentiel, dans notre temps qui privilégie la communication au détriment de la parole, de conserver un rapport dialectique psychanalyse-psychiatrie pour préserver la fonction de la parole et « la valeur humaine de la folie » (Henri Ey cité dans La psychiatrie affolée p21-22). Psychiatrie et psychanalyse ne doivent pas s’exclure, elles sont indissociables dans le traitement de la folie. (Traverser les murs, 4 ème de couv)
Les sujets qui s’adressent à la psychanalyse refusent que leur « singularité soit dissoute dans une causalité organo-génétique (…) le psychanalyste est cet interlocuteur auquel il peut s’adresser pour affronter ses démons et ses angoisses. » (Comment s’orienter dans la clinique, 4ème de couv)
La psychanalyse traite du corps parlant, en cela elle est politique. Elle ne s’intéresse pas à la santé mentale en tant qu’ordre public car : « L’homme aborde le monde par le social. Le langage perturbe fondamentalement l’adéquation de l’Innenwelt à l’Umwelt. La maladie mentale est en nous depuis le début. Notre modèle de santé mentale n’est pas celui de l’animal. L’exemple de la santé mentale, à notre époque, ce serait plutôt la machine. C’est pour ça que l’on peut dire de quelqu’un qu’il a pété les plombs. » (Santé mentale et ordre public, J-A Miller, 1997). L’éthique de la psychanalyse porte sur la jouissance singulière de tous les parlêtres qui s’adressent à elle et qui se font responsables de cette jouissance.
Dans la suite de Lacan, nous pensons que la folie n’est pas une maladie neurologique, mais une maladie de la parole.
Dans son « Petit discours aux psychiatres », Lacan indique : « S’il y a quelque chose que la psychanalyse est faite pour faire ressortir, mettre en valeur, ce n’est certainement pas le sens, au sens en effet où les choses font sens, mais justement de marquer en quels fondements radicaux de non sens et en quels endroits les non sens décisifs existent sur quoi se fonde l’existence d’une certain nombre de choses qui s’appellent des faits subjectifs. C’est bien plus dans le repérage de la non compréhension, par le fait qu’on dissipe, qu’on efface, qu’on souffle le terrain de la fausse compréhension que quelque chose peut se produire qui soit avantageusement dans l’expérience analytique ».
Dans la rencontre avec la folie, Lacan propose de partir du principe que rien ne va de soi.
Il invite les analystes à « se laisser choir du recours à aucune évidence » (p.539 des Ecrits).
Renouer psychanalyse et psychiatrie, nous avons choisi de le faire cette année en retrouvant les trésors oubliés de la psychiatrie sur lesquels la psychanalyse a pris appui.
Chacun des modules de l’Antenne permet de traiter le thème de l’année et les participants sont invités à proposer des travaux (commentaires, transcriptions, étude de textes, …) qui sont discutés lors de conversations dans les groupes constitués.
Lors des Présentations cliniques, nous aurons à nous laisser surprendre, encore et toujours. « … il ne va pas de soi que, dans la pratique, on ait envie d’être surpris. On déploie beaucoup d’efforts pour devenir expérimenté, on y met beaucoup d’insistance. Or, qu’est-ce qu’une personne expérimentée ? – sinon quelqu’un qui est moins surpris que les autres par les phénomènes qui se produisent dans un champ donné ». (J-A Miller Le conciliabule d’Angers p 9-10).
Tout cela ne va pas sans angoisse dont Lacan dit que, pour le praticien, elle constitue « de très bonnes dispositions à être analyste » (Séminaire L’Angoisse p13).
Pour l’atelier d’étude de textes, nous avons retenu la thèse de Lacan de 1932 : « De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité ».
Lacan, avec le cas Aimée, ne veut pas tant isoler une nouvelle entité clinique que « opérer une contribution à la théorie psychiatrique du caractère » (n° 73 de la Revue de la Cause du désir, p 162)
Lors des soirées d’enseignement, nous accueillerons des psychiatres psychanalystes, membres de l’Ecole de la Cause freudienne, qui viendront tour à tour nous présenter un de leurs trésors en psychiatrie. Nous renouerons ainsi avec les fondements psychiatriques de la psychanalyse.
Le module Elucidation des pratiques nous permettra de mettre au travail ce qui, dans la clinique, relève de l’acte du praticien et de ses conséquences, interroger sa pratique étant un choix éthique.
Pour l’Introduction à la psychanalyse, nous avons choisi de nous laisser guider par Lacan dans son Séminaire Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse.
« Achoppement, défaillance, fêlure. Dans une phrase prononcée, écrite, quelque chose vient à trébucher. Freud est aimanté par ces phénomènes et c’est là qu’il va chercher l’inconscient »[1]. (Lacan, p27 du Séminaire)
Références bibliographiques 2020-21 :
– La psychiatrie affolée, numéro commun des revues Horizon et Confluents, de l’Envers de Paris et de l’ACF-Ile-de-France, 2019
– Lacan Jacques, Petit discours aux psychiatres de Ste Anne, 1967 (disponible sur Internet)
– La paranoïa selon les grands psychiatres, n° 73 et 74 de la revue La Cause du Désir
– Miller J-A, Santé mentale et ordre public, Mental n°3, Janvier 1997
– Lacan J., Le Séminaire, livre III, Les Psychoses, Paris, Seuil, 1956
– Biagi-Chai Francesca, Traverser les murs La folie, de la psychiatrie à la psychanalyse, Paris, Editions Imago, 2020
– Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les quatre concepts de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973
– Comment s’orienter dans la clinique, Uforca, Paris, Le Champ freudien éditeur, 2018
– La conversation clinique, Uforca, paris, Le Champ freudien éditeur, 2020
Et les désormais classiques mais indispensables :
– Le conciliabule d’Angers, collection Le Paon, Agalma éditeur, diffusion Le Seuil, 1997
– La conversation d’Arcachon, collection Le Paon, Agalma éditeur, diffusion Le Seuil, 1997
– La psychose ordinaire, collection Le Paon, Agalma éditeur, 1999, Navarin éditeur, 2018